Chronique d'une mort annoncée

voir le dossier Tribune Libre + voir le dossier Colloque de Fougères

Martin Hirsch connaît la musique.

Afin de ne pas risquer de se trouver "bousculé" dans la discussion qui eût dû suivre l'exposé sur le principe de précaution qu'il était sensé faire au colloque de Fougères, il s'est mis dans la situation de celui qui aurait à "préconiser" du sort du cheptel ovin de la France au cas, probable selon les données qu'il a distillées pendant toute la durée de son exposé, où la "transmissibilité" de l'agent de l'ESB au mouton soit confirmée par les recherches en cours en Grande-Bretagne, et dont on attend avec anxiété le résultat pour la fin du mois en cours.

Et il y a tout lieu de craindre que les préconisations de l'AFSSA, au cas où cette transmissibilité soit confirmée par les recherches en cours, ne se fassent dans la même ligne que celles qui ont conduit à la politique mise en place en Europe aujourd'hui pour la prévention des cas dus au nouveau variant de la maladie de Creutzfeld-Jacob chez l'homme, c'est-à-dire en contrevenant à la plupart des commandements qui devraient être le Credo de l'application du principe de précaution en matière de sécurité alimentaire :
1) Tout risque doit être défini, évalué et gradué ;
2) L'analyse du risque doit comparer les différents scénarios d'action et d'inaction ;
3) Toute analyse de risque doit comporter une analyse économique, qui doit déboucher sur une étude coût/ bénéfice préalable à la prise de décision ;
4) Les structures d'évaluation des risques doivent être indépendantes ;
5) Les décisions doivent être révisables et les solutions adoptées réversibles ;
6) Sortir de l'incertitude impose une obligation de recherche ;
10) Le public doit être informé au mieux et son degré de participation ajusté par le pouvoir politique.



Il me paraît opportun, vu l'importance de la question, de montrer que l'utilisation du principe de précaution, dans l'état des données actuelles disponibles, ne se justifierait pas pour décider du sort des millions d'ovins constituant le cheptel français, sur le résultat d'expériences réalisées à partir de cerveaux de moutons morts de la tremblante dans les années 1990 en Grande-Bretagne.

1) L'évaluation du risque de la transmission chez l'homme
Il est clair que l'objet final de la politique mise en place en matière d'ESB est la prévention de l'apparition de nouveaux cas de maladie de Creutzfeldt-Jacob dus au nouveau variant ( nvCJD ).
Or, et comme l'avait bien fait remarquer la veille le commissaire européen dans son exposé, cette nouvelle forme de nvCJD n'a affecté à ce jour dans le monde que 111 personnes sur une durée de 7 ans, dont une douzaine de cas non confirmés par examen histopathologique du cerveau et 5 personnes encore en vie. En dépit des sinistres prédictions des statisticiens qui avaient publié un nombre de victimes compris entre 65 et quelque 400.000 victimes, il semble bien qu'on ne risque pas de s'éloigner de l'estimation la plus basse de la fourchette, même s'il est possible qu'on ne soit pas encore dans la phase de décrue de l'apparition de nouveaux cas, en particulier en Grande-Bretagne.
Voir tableau au 1/10/2001 publié par l'Unité de Surveillance de Glascow.
Je ne sais pas ce qui autorise un certain Professeur Ironside (?) de dire ce qu'il dit à l'examen de ces statistiques.
En réalité la mortalité due à la maladie de Creutzfeldt-Jacob, toutes origines confondues et pas seulement celle attribuée au nouveau variant, aura diminué de 20% entre 1998 (89 cas) et 2001 (probablement 70 cas à la fin de l'année, car je ne crois pas à une flambée d'ici là).
Tout se passe comme si une partie des cas catalogués sporadiques dans les années 1997-1999 étaient passés dans le groupe des nvMCJ. Est-ce du à une meilleure méthode de diagnostic ou à une meilleure conscience du problème ?
Je suis également très circonspect face au nombre de cas non confirmés par l'examen neuro-pathologique (près de 15%). N'y aurait-il pas certaines mortalités dues à des troubles neurologiques sans rapport avec les prions ? A mon sens, mais je ne suis pas un spécialiste, ce qui s'écrit à propos de la pathogénie de l'ESB et de la nvMCJ devrait toujours se traduire par des lésions caractéristiques pathognomoniques, capables à elles seules d'établir le diagnostic..., surtout sur des échantillons qui doivent être prélevés aussitôt après la mort, dans des conditions idéales pour la conservation des tissus lésés.

2) L'analyse du risque doit comparer les différents scénarios d'action et d'inaction.
Mission impossible ?

3) Toute analyse de risque doit comporter une analyse économique qui doit déboucher sur une étude coût/bénéfice préalable à la prise de décision.
Il me parait du plus grand intérêt de rapporter une fois encore les propos de la Food Standarts Agency.
"La vie n'a pas de prix, mais la prévention d'une mort a un coût. Certains experts ont développé l'idée que toute dépense faite dans le domaine de la prévention est justifiée pour sauver une vie, en particulier quand il s'agit de la nouvelle forme de la Maladie de Creutzfeld-Jakob, une affection particulièrement affligeante et fatale dans tous les cas, qui se développe essentiellement chez de jeunes personnes.
"Il reste que les ressources sont toujours limitées et que, même quand elles sont disponibles, leur emploi dans un domaine déterminé, comme par exemple la prévention de l'ESB, réduit le montant des ressources disponibles pour d'autres affectations désirables, comme par exemple la Santé et la Sécurité Sociale.
La disponibilité de personnel qualifié pour mettre en place et en vigueur les contrôles est toujours un facteur limite, au moins à court terme, en raison des délais nécessaires au recrutement et à la formation du personnel nécessaire.
"Il y a beaucoup de façons de répondre à l'existence d'une telle relation. Mais elles sont toujours difficiles à appliquer dans un domaine où la plus grande incertitude est de mise sur le risque possible (c'est-à-dire le nombre de cas de nvMJC qui sera causé par un contact antérieur et/où le nombre de cas qui seront prévenus par les mesures actuelles mises en place). Les études effectuées en Grande-Bretagne sur la "Volonté du Public de Payer" (VPP) pour prévenir un décès dans d'autres domaines donnent à penser que les gens sont prêts à donner une valeur implicite aux dépenses à engager pour protéger une personne d'une maladie donnée ou de la mort.
"Cette valeur tend à varier, de sorte que la VPP est plus forte pour
- les risques encourus les consommateurs par rapport à ceux encourus par le personnel salarié;
- les enfants par rapport à la population en général;
- les maladies donnant lieu au dégoût ou à l'émotivité, dues à des agents invisibles ou repoussants;
- des évènements qui touchent un nombre important de gens en même temps;
-les agents responsables des maladies de "l'avenir".
"De nombreuses études montrent que l'information est plus facile à faire passer sur l'étendue du risque et l'importance du dommage possible que dans le cas de l'ESB. Ces études montrent une VPP comprise entre 1 à 3 millions de livres (10 à 30 millions de francs) par vie épargnée. L'estimation du British Railways Board de Sécurité dans le contexte de la Protection par l'automatisation des trains était de 14 millions de livres par vie épargnée en 1994. A l'époque, le projet fut écarté en raison du contexte de leur politique d'estimation du coût d'une vie à 2 millions de livres, et il le fut encore lorsque ce coût fut élevé à 3/4millions de livres pour tenir compte du fait que les accidents ferroviaires provoquent plusieurs morts à la fois et que ce fait les rendait moins acceptables qu'une série de morts uniques, ce qui est le cas le plus souvent, des accidents automobiles.
"A la suite du crash de la Gare de Paddington, on considéra que le coût de l'installation de l'automatisation des trains était à la limite de l'acceptabilité par la société pris à présent dans son ensemble, à cause du débat qui s'est institué sur l'efficacité de cette automatisation dans la prévention des accidents dans l'avenir.
Une autre approche du problème est l'étude du coût prévisible des règles mises en place pour limiter l'exposition du personnel à diverses substances chimiques toxiques. Cette voie d'approche suggère qu'un chiffre compris entre 1 et 10 millions de livres par vie épargnée soit habituel pour justifier la traduction des règles sous forme de législation.
Le coût direct des mesures destinées à la prévention de l'ESB est estimé à environ 530 millions de livres. Le tableau n°3 résume les montants dépensés à cet effet. Il convient d'y ajouter les coûts indirects associés endurés par la filière (en rapport avec les incidences sur les marchés) et le coût de la traçabilité, au moins en partie puisqu'elle n'est pas seulement mise en place pour le contrôle de la seule ESB. Il faut aussi y ajouter le coût des recherches effectuées sur les encéphalites spongiformes par les organismes financés par le Gouvernement. Encore qu'une partie de ces dépenses puisse provenir de financements déjà prévus pour d'autres recherches.
"Il est peu probable que l'on pourra dégager un consensus sur le montant "raisonnable" nécessaire à la prévention d'un seul cas de nvMCJ. Il serait pourtant raisonnable de définir que ce montant devrait se situer à la limite supérieure de ce qui est trouvé acceptable dans d'autres contextes.
En conséquence, si la société ressentait qu'il serait raisonnable de dépenser 10 millions de livres pour prévenir un seul cas de nvMCJ, la dépense de 552 millions de livres par an serait justifiée dans l'hypothèse où cette dépense permettrait la prévention de 55 cas de mortalité due au nvMCJ. Cette discussion n'est pas évoquée pour suggérer un plafond sur ce que la société est disposée à payer, mais elle est faite dans le but d'illustrer le contexte dans lequel de telles décisions doivent être prises. Nous ne ferons aucune proposition sur ce sujet, puisque le rapport d'enquête sur l'ESB et nombre des experts que nous avons consultés ont souligné qu'en fin de compte, c'est aux ministres de décider le montant des sommes destinées à financer chaque domaine d'intervention.
"A l'heure actuelle, une vingtaine de cas de la nvCJD sont diagnostiqués chaque année. Etant donné la longueur de la période "d'incubation", la plupart des cas recensés aujourd'hui sont la conséquence de contaminations qui ont eu lieu avant la mise en place des contrôles à la fin des années 1980. Nous ignorons combien de cas de nvMCJ seront la conséquence des contaminations jusqu'à maintenant. Nous ne savons pas non plus combien de cas seront prévenus par les mesures de contrôle mises en place à l'heure actuelle. Il est cependant probable que, sans la mise en place de ces mesures, l'épidémie aurait continué à se développer et que de nombreuses autres personnes eussent été exposées à l'agent infectieux. Ce qui eût conduit en retour à des morts supplémentaires et à des dépenses plus importantes pour notre service de santé. En raison de la diminution si importante du nombre de cas d'ESB observés au Royaume-Uni, nous pouvons affirmer aujourd'hui que, même sans les mesures actuelles de contrôle, l'exposition à l'agent de l'ESB due à la chaîne alimentaire est probablement beaucoup moins importante qu'elle ne l'soit au moment où les cas qui se déclarent à présent ont vraisemblablement été affectés."

4) Les structures d'évaluation doivent être indépendantes.
Je ne pense pas qu'elles le soient en France...

5) Les décisions doivent être révisables et les solutions adoptées réversibles.
On n'en est pas là !

6) Le public doit être informé au mieux et son degré de participation ajusté par le pouvoir politique.
Il est entendu qu'il est le premier concerné, à condition :
- qu'il soit en mesure de pouvoir "évaluer" l'information ;
- que cette information ne provienne pas d'une source unique ( les médias ) dont la seule source d'informations serait l'AFSSA.



On voit donc la nécessité de constituer un corps de sages, à l'indépendance reconnue, une sorte de comité de personnalités comme il en existe dans d'autres domaines, l'éthique ou l'utilisation des données informatiques par exemple.

Auteur : Maurice Legoy, Docteur-Vétérinaire
Dernière modification : 14/10/01